Demnia et Bou Gheraïda

Souvenirs de Robert Tigreat

A priori le nom de Bou Gheraïda ne me disait rien mais mon subconscient m'a commandé de ressortir ma carte... que de souvenirs aussitôt...! Pratiquement toutes les semaines j'avais un groupe en ouverture et protection de route au KM 19. C'est ainsi qu'on le nommait car à 19 Km de Collo... et j'ai trouvé à 2 km au N.N.O. de la maison d'école de Demnia, donc de mon poste, un petit oued, à sec sauf en cas de pluie, situé au lieu-dit KM 19. Son nom bou Keraïda. A l'époque il n'y avait que quelques petits commerces où la population venait faire ses "courses", vendre son charbon de bois. Dans le courant 57 tous les petits commerces ont dû fermer. C'est là que j'ai arrêté un convoi de ravitaillement rebelle


Message de Robert Tigreat, 28 août 2013

Le site de Bou Gheraïda en 1961

(Photo Jean Marie-MIre, légendes de Robert Tigreat)

Sous le nom de Demnia, on aperçoit des alignements de gourbis,

probablement le camp de regroupement.

Le camp de Bou Gheraïda en 1961

(Photo Jean-Marie Mire, légendes de Robert Tigreat)

Le poste de Demnia vu de la vallée, en 1957

(Photo Robert Tigreat(

Le poste de Demnia vu de la cote 266, en 1957

(Photo Robert Tigreat)

48 mulets et 96 convoyeurs

Le 14 février 1957, à 10 heures, un tirailleur du poste me signale qu’il y a des harkis à cheval au pied du Guern Aïcha. Mais il n’y avait pas de harkis à cheval dans le secteur. Je prends mes jumelles, et constate qu'il s'agissait de mulets chargés et accompagnés. Inhabituel, et ceci me paraît suspect. Il s'agissait en fait d'un groupe d'un convoi plus important qui empruntait, par erreur ou pour faire diversion, une piste visible depuis le poste de Demnia. On est partis à onze, une équipe et une pièce, vers le kilomètre 19, et on les a arrêtés en tirant en l’air. Ce groupe faisait partie d'un convoi d'une centaine de mulets et brêles. Il y avait des gars en armes, avec eux, mais ils sont partis.


Du coup on a arrêté sur place quatre vingt seize types et quarante huit mulets avec leurs chargements. Il y avait des pommes de terre, du riz, du tabac… J’ai encore une étiquette d’un sac de pommes de terre de Pleyben commune de mon "pays" ! J’aurais bien voulu récupérer un sac de pommes de terre pour le poste, mais tout est parti au bataillon.


Cela se passait de l’autre côté de l’oued Bou Gheraïda qui se jette dans l’oued Guebli, et un capitaine de Kerkera est venu sur place. Il râlait parce que à quelques mètres près on était sur sur son territoire. Frustré, il aurait peut-être préféré que je laisse passer le convoi pour pouvoir l'intercepter plus tard, éventuellement... ou pas ! J’étais parti sans cigarettes, et il a refusé de me dépanner ! On m’a dit par la suite qu’il y avait eu une lettre de félicitations de Maurice Papon qui était IGAME à Constantine, mais je ne l’ai jamais vue. Normalement, avec une lettre comme cela, il y avait citation…


J’ai été convoqué chez le juge de paix de Collo car, dans le cadre du "maintien de l'ordre", j'avais arrêté un trafic et des trafiquants. C'était sa conclusion après examen du rapport que je lui avais remis.


Message de Robert Tigreat, 29 juillet 2014

Attaque du poste de Demnia, le 12 novembre 1957

Le 12 novembre 1957, le poste de Demnia a été attaqué de 23 heures à minuit, par une bande rebelle nombreuse et fortement armée.


J’ai cru qu’on allait y passer. J’ai demandé à Tamalous un appui d’artillerie, mais il n’y avait pas de tir préréglé et il a fallu le faire. Tirs sur les cotes 305 et 266 avant transfert autour du poste. Normalement, la distance de sécurité par rapport aux positions amies est de cent mètres. Mais les assaillants étaient tellement proches qu’on a ramené cette distance à 50 mètres en priant Dieu qu'un "coup court" ne vienne nous compliquer la tâche. On entendait le souffle des obus de 105 qui passaient au-dessus de nos têtes. Soixante et onze coups de 105 ont été tirés par les deux canons de Tamalous.


Sous l'action conjuguée du tir d'artillerie et de la riposte des éléments du poste, les "rebelles" ont décroché après une heure de combat. Il y a eu de la casse chez les attaquants : plusieurs tués et de nombreux blessés, selon ce qui se disait les jours suivants dans la population. Et parmi les morts, Si Ahmed et Si Lakhdar. Aucun blessé ou tué n'a été retrouvé sur les lieux mais des traces, souvent traces de sang, de corps traînés pour les retirer des lieux de combat et les évacuer. Seuls trois corps seront retrouvés dans l'oued Guebli deux jours plus tard, sur renseignement de petits bergers. D'autres corps seront laissés sur le bord des pistes de repli, selon des témoignages recueillis auprès de la population. Aucune arme n'a été récupérée sur place : un lien les reliait au combattant. Par contre, de nombreuses munitions, cartouches, chargeurs pleins d'armes diverses, ainsi que plusieurs obus de mortier et roquettes non explosés.

De notre côté, cinq harkis blessés au cours du combat seront évacués par hélicoptère.


A noter que dans ma section, nous étions 29 : 25 Africains, 4 appelés du contingent, dont moi-même, le chef de poste. Je n'ai jamais connu un effectif si important au poste... Et en plus, ce soir-là, du "rab" avec les harkis, simple coïncidence car c'était la première fois que cela se produisait. Chance ? Non, on dit "baraka" là-bas, et ce soir-là elle était de notre côté. Au regard du bilan, "y a pas photo !"


Par la suite, on a abandonné le poste de Demnia. On l’a quitté le 17 décembre 1957. On a rasé les murettes... mais laissé intacte la maison d'école.


Dans le courant de l’année 1957, la population du nord, jusqu'à la mer, avait été regroupée sur Tamalous. Il y avait une pépinière à Demnia. J’avais eu la liste des employés que j’ai détruite par la suite : en janvier 1957, ils étaient 120. Par la suite il n’y en avait plus qu'une petite cinquantaine.


Mais plus tard, après mon départ, en 1960, on a fait un regroupement à Demnia même.


Message de Robert Tigreat, 29 juillet 2014.

Les vestiges du poste de Demnia en mars 2015

Le poste avait été installé par l'armée française dans l'école de Demnia.

Le poste avait été installé dans l'école de Demnia par l'armée française.

On remarque sur la façade les impacts des tirs

"Il manque le clocheton à la pointe du pignon et.... sa cloche.... qui tintait lorsqu'elle prenait une balle. En général elle annonce la fin de la récrée... mais ça n'était pas le cas!

Le pylône de la ligne électrique Collo/Philippeville : un fil a été coupé, privant les villes de courant.

La terre à nue devant....existait déjà à l'époque. Il y avait une demi lune taillée dans le sol pour faire une petite aire de battage et accessoirement on y prélevait de la glaise [voir ci-dessus la photo du poste en 1957].

Lors de l'attaque les "rebelles" avaient placé là un F.M. 24/29 pour prendre en enfilade la sortie de mes hommes, mais ceux-ci ont giclé par les fenêtres latérales."

Message de Robert Tigreat, 26 mars 2015.